Par Farida Tiemtore, Fondatrice des Héroïnes du Faso, Voix EssentiELLEs du Burkina Faso et Membre du Conseil des jeunes du Fonds mondial
Chaque 25 avril, la Journée mondiale de lutte contre le paludisme nous offre une occasion de marquer les progrès réalisés, mais aussi de rappeler que la maladie continue de tuer, notamment dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. L’année 2025 est une année décisive pour la lutte contre le paludisme. Plusieurs menaces convergent : gel des financements américains, multiplication des crises sanitaires et humanitaires, et l’enjeu de taille que représente la 8ᵉ reconstitution des ressources du Fonds mondial, prévue en fin d’année. Plus que jamais, il est crucial de placer les communautés, les femmes et les jeunes au cœur de la réponse mondiale.
C’est dans cet esprit que j’ai participé à la réunion GFAN (Global Fund Advocates Network), qui s’est tenue à Ottawa, du 7 au 10 avril 2025. Un moment fort de dialogue et de mobilisation, où j’ai rappelé en tant que Voix Essentielle l’importance de faire entendre les réalités des communautés dans les espaces de décision internationaux.
" « La réunion du GFAN 2025 à Ottawa a montré une chose très claire : nous ne pouvons pas gagner cette bataille contre le paludisme, le VIH et la tuberculose sans l’engagement de toutes les parties prenantes. Des communautés aux parlementaires, des jeunes aux décideurs politiques, chacun a un rôle essentiel à jouer. La reconstitution à venir ne sera réussie que si elle reflète les voix, les besoins et les solutions portées depuis les communautés jusqu’aux plus hauts niveaux de décision.", a souligné Katy Kidd Wright, directrice du GFAN.
Une pré-conférence francophone pour recentrer les priorités régionales
Avant la réunion principale du GFAN, j’ai participé à une pré-conférence francophone. Ce fut un moment fort de partage, de mobilisation et de coordination entre acteurs et actrices des pays francophones engagés dans la lutte contre les maladies. Nous y avons réfléchi à des moyens d’amplifier la voix des francophones au sein du GFAN, souvent sous-représentés dans les stratégies de plaidoyer globales.
Un point d’attention majeur a été la nécessité d’adapter les approches de plaidoyer aux contextes francophones, en prenant en compte les réalités culturelles, les barrières linguistiques, mais aussi les priorités spécifiques des pays concernés. J’ai souligné, à cette occasion, combien il était essentiel d’intégrer des enjeux transversaux comme l’autonomisation des femmes, la santé sexuelle et reproductive, et la lutte contre les violences basées sur le genre (VBG) dans les réponses contre le paludisme. Ces dimensions sont indissociables de la santé globale, notamment dans les contextes où les femmes et les filles font face à de multiples vulnérabilités.
Des communautés au centre de la réponse
Un message central de cette rencontre GFAN a été la nécessité de faire entendre les voix des communautés. Car ce sont elles qui connaissent les réalités de la maladie, qui en subissent les conséquences, mais aussi qui portent des solutions concrètes. Les Voix Essentielles, en particulier, ont été mises en avant pour rappeler leur rôle moteur dans la co-construction de stratégies efficaces. Les femmes et les jeunes jouent un rôle central dans cette réponse. Ce sont elles et eux qui assurent la prise en charge familiale, mènent des actions de prévention, et peuvent impulser des innovations locales. Il est donc impératif de les inclure activement dans les processus décisionnels internationaux, notamment dans la gouvernance du Fonds mondial.
" Si nous voulons véritablement venir à bout du paludisme, il est impératif de repenser la manière dont nous finançons la riposte. Les mécanismes traditionnels ne suffisent plus. L’initiative Voix EssentiELLEs en est une illustration concrète : elle permet non seulement de renforcer les capacités des femmes et des jeunes à la base, mais aussi de leur donner les moyens de proposer et de mettre en œuvre des solutions adaptées à leurs contextes. Ce modèle démontre qu’un financement centré sur les communautés, sensible au genre et fondé sur la confiance est non seulement possible, mais surtout efficace. Il est temps que ces approches soient intégrées de manière systématique dans la gouvernance internationale de la santé, notamment par le biais du Fonds mondial. ", s’est ainsi exprimée Maelle Ba, Conseillère en Communication et relation externes chez Speak Up Africa et co-présidente du Groupe des partenaires pour le plaidoyer, la communication et la mobilisation de ressources du Partenariat RBM pour en finir avec le paludisme..
Des défis majeurs : financements gelés et crises multiples
L’un des obstacles majeurs évoqués pendant la réunion concerne le gel des financements américains pour la santé mondiale. Les États-Unis, acteur historique et principal bailleur du Fonds mondial, ont suspendu une partie de leur soutien. Cette situation met directement en péril les avancées réalisées dans la lutte contre le paludisme, mais aussi contre le VIH/sida et la tuberculose. Ce gel de financement survient dans un contexte de crises humanitaires et sanitaires simultanées : COVID-19, Mpox, conflits géopolitiques, déplacements de populations, et effets croissants du changement climatique. Ces facteurs réunis fragilisent les systèmes de santé et rendent encore plus urgente la nécessité d’un soutien international renforcé.
" Nous faisons face à une convergence de crises — sanitaires, humanitaires, climatiques et géopolitiques — qui exercent une pression sans précédent sur les systèmes de santé, en particulier dans les pays les plus vulnérables. Dans ce contexte complexe, les risques de régressions sont réels. Sans un engagement collectif renouvelé et des ressources à la hauteur des besoins, les avancées durement obtenues dans la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme pourraient être rapidement effacées. Il est impératif de renforcer nos efforts communs, de promouvoir des approches de financement plus durables et inclusives, et de soutenir les acteurs communautaires qui sont en première ligne. Plus que jamais, la solidarité internationale n’est pas une option, mais une nécessité vitale pour préserver les progrès accomplis et bâtir des systèmes de santé résilients.", a déclaré Françoise Vanni, Directrice des Relations extérieures et de la Communication du Fonds mondial.
Prioriser la lutte contre le paludisme au niveau national
Les pays d’Afrique, qui continuent de porter le fardeau le plus lourd du paludisme, doivent aujourd’hui réaffirmer leur leadership dans la lutte contre cette maladie. Alors que les financements internationaux tendent à se réduire, il devient essentiel de réinvestir davantage de ressources endogènes et de faire de la lutte contre le paludisme une priorité nationale. Cela implique un engagement politique fort, un financement accru par les budgets nationaux, ainsi qu’un renforcement durable des systèmes de santé.
Le thème de la Journée mondiale de lutte contre le paludisme 2025, « Réinvestir, réimaginer et raviver nos efforts communs pour mettre fin au paludisme », rappelle l’urgence d’une mobilisation collective et renouvelée. Il s’agit non seulement de repenser les stratégies actuelles, mais aussi de raviver l’ambition d’éradiquer cette maladie avec des approches plus résilientes, adaptées aux réalités locales. Dans ce contexte, les initiatives comme Voix Essentielles ou les fonds catalytiques peuvent venir en appui, mais elles ne peuvent pas remplacer une vraie volonté des pays les plus touchés de s’engager eux-mêmes, en investissant des ressources domestiques et en prenant des décisions fortes. La 8ᵉ reconstitution des ressources du Fonds mondial, prévue en fin d’année, sera un moment important, non pour perpétuer une dépendance à l’aide extérieure, mais pour encourager un engagement renouvelé et équilibré entre partenaires techniques et pays endémiques.
Le multilatéralisme comme levier de solutions concrètes
J’ai également participé à un panel sur le multilatéralisme, où nous avons discuté de la manière dont la coopération internationale peut accélérer la lutte contre le paludisme. Le multilatéralisme permet aux gouvernements, aux organisations internationales, à la société civile et au secteur privé d’agir ensemble, de manière coordonnée, pour répondre aux défis de santé publique, mais ce modèle, tel qu’il est aujourd’hui, commence à s’essouffler. Les panélistes ont mis en avant des pistes concrètes : création de mécanismes de financement plus souples, renforcement des réseaux de soins communautaires, et intensification des efforts de sensibilisation dans les zones à haut risque. Mais surtout, il a été rappelé que les décisions doivent être prises avec les communautés, et non pour elles.
Renforcer les voix francophones et la participation aux espaces de gouvernance
Dans cet élan, les Voix Essentielles participent activement aux appels francophones du GFAN, qui sont devenus un espace stratégique de mise à jour, d’échange et de coordination pour le plaidoyer en santé mondiale. Ces appels sont essentiels pour s'assurer que les réalités des pays francophones soient prises en compte à tous les niveaux. Parmi les priorités à venir figure aussi la 53ᵉ réunion du Conseil d'administration du Fonds mondial, un moment-clé pour veiller à ce que les délégations qui nous représentent défendent effectivement nos voix, nos besoins et nos priorités. Il est essentiel que les décisions prises à ce niveau reflètent les réalités des communautés, et non uniquement des considérations politiques ou institutionnelles.
Ensemble pour un avenir sans paludisme
La lutte contre le paludisme ne pourra pas être gagnée sans un engagement collectif, un soutien renforcé aux communautés, et une volonté politique renouvelée. Les femmes, les jeunes et les communautés locales doivent être reconnus comme des acteurs à part entière, non comme de simples bénéficiaires. Pour réussir, il nous faut des financements durables, une coopération internationale ambitieuse et une représentation équitable des voix des communautés dans toutes les instances de décision. En cette Journée mondiale contre le paludisme, rappelons que la fin du paludisme est possible si nous plaçons l’humain, la justice sociale et l’équité au centre de notre action.