Mettre fin au VIH est une épreuve pour nos valeurs, et le temps nous est compté

Mettre fin au VIH est une épreuve pour nos valeurs, et le temps nous est compté

Par Dr Christian Rusangwa, Directeur de l’Assistance Technique à Muso & Josiane Adja N’Koh Kouame, Présidente de l’ONG GNOUWIETA

Mettre fin au VIH n’est plus un défi scientifique. C’est un choix moral et le monde dispose de cinq années pour le faire.

Nous parlons souvent de la fin du VIH/ Sida comme d’un objectif technique. Mais pour nous, en tant qu’un scientifique africain et une défenseure communautaire la question est profondément humaine. Derrière chaque statistique se cache une vie qui aurait pu être sauvée, une famille qui aurait pu rester soudée, un avenir qui aurait pu être préservé. Les outils existent. La science est prête. Ce qui manque, c’est le courage d’affronter les inégalités qui maintiennent l’épidémie en vie.

Un futur qui pourrait devenir réalité

Imaginez un monde où aucun bébé ne naît avec le VIH, où aucune adolescente ne perd son avenir à cause d’une infection évitable, où les personnes vivant avec le VIH ne sont ni craintes ni jugées. Ce monde est entièrement à portée de main.

Mais pour l’atteindre, nous devons cesser de considérer l’équité comme optionnelle. L’histoire ne retiendra à quel point nos technologies étaient avancées. Elle retiendra si nous avons choisi de les rendre accessibles à tous.

L’inégalité détermine encore qui vit et qui meurt

Si certains croient encore que le VIH est « sous contrôle », il leur suffit de regarder qui reste le plus touché.

En Afrique subsaharienne, vivent deux tiers des personnes vivant avec le VIH, et les adolescentes et jeunes femmes représentent plus de 60 % des nouvelles infections. En Europe de l’Est et en Asie centrale, les nouvelles infections augmentent, non pas pour des raisons biologiques, mais à cause de lois punitives et de la criminalisation des personnes utilisatrices de drogues. Même les pays riches échouent à protéger les communautés noires, migrantes, LGBTQI+ et racisées.Ces disparités ne sont pas accidentelles. Elles résultent de choix politiques, de normes sociales et d’un sous-financement des acteurs qui connaissent le mieux leurs communautés.

C’est pourquoi nous insistons : les scientifiques africains et la société civile doivent être au cœur de la prise de décision.

Nous connaissons les réalités. Nous connaissons les obstacles. Et nous savons ce qui fonctionne. Pourtant, nous restons insuffisamment financés et marginalisés dans les espaces politiques mondiaux.

Nous avons accompli l’impossible mais les progrès restent fragiles

Reconnaissons le chemin parcouru. Au plus fort de l’épidémie, l’accès au traitement était un privilège réservé à quelques-uns. Aujourd’hui, plus de 30 millions de personnes reçoivent un traitement antirétroviral. Les décès liés au sida ont diminué de 70 %.

Les nouveaux outils de prévention autotest, PrEP injectable, traitements à longue durée redéfinissent l’autonomie et le choix.

Mais face au recul de l’attention politique et à la stagnation des financements, ces avancées durement acquises sont désormais menacées. En 2023 seulement, 1,3 million de personnes ont été nouvellement infectées et 630 000 sont mortes de causes liées au sida. Pendant ce temps, les financements mondiaux diminuent, et les inégalités observées pendant la COVID-19 réapparaissent. Le Sud global a attendu les vaccins. Il risque désormais d’attendre les innovations contre le VIH.

Le dernier kilomètre dépend du courage pas de la technologie

Mettre fin au VIH exige plus que des outils nouveaux. Cela exige de mettre fin aux injustices qui rendent certains plus vulnérables que d’autres.

Nous avons besoin de gouvernements prêts à abroger les lois discriminatoires qui poussent les populations à se cacher et vivre dans la clandestinité. Nous avons besoin de sociétés prêtes à combattre la stigmatisation qui empêche encore tant de personnes de chercher et demander des soins. Nous avons besoin de dirigeant·e·s prêts à financer la prévention avec sérieux.

Ces échecs ne sont pas inévitables. Ils sont tolérés et donc transformables.

L’Afrique montre la voie, mais ne peut pas agir seule

La Conférence Internationale sur le Sida et les IST en Afrique (ICASA) montre comment les chercheurs, praticiens et leaders communautaires africains façonnent des solutions adaptées à nos réalités. Mais la solidarité internationale faiblit, et la lassitude des bailleurs est réelle.

C’est pourquoi nous soutenons que la fin du VIH dépendra de trois changements fondamentaux :

1. Un financement domestique renforcé.

Les pays les plus touchés ne peuvent dépendre indéfiniment d’aides externes incertaines. La durabilité exige un investissement local.

2. L’activation de partenariats locaux, notamment avec le secteur privé.

Les entreprises bénéficient d’une population en bonne santé. Elles doivent être incitées à soutenir l’innovation et l’accès à la prévention et au traitement.

3. Une redevabilité accrue des institutions multilatérales, et une centralité du leadership des pays à forte charge.

Aucune réponse mondiale efficace n’est possible sans transfert de pouvoir vers celles et ceux qui sont le plus concernés.

Un appel à l’action

Nous sommes à la croisée des chemins. Mettre fin au VIH n’est plus une question de nouvelles avancées scientifiques, mais de la volonté d’abolir des injustices anciennes.

La question est simple :Avons-nous le courage de choisir l’équité ? Si oui, la génération qui a vu naître l’épidémie pourrait aussi voir sa fin. Sinon, l’Histoire ne nous jugera pas sur ce que nous savions, mais sur ce que nous avons refusé de changer.

La fin du VIH est possible. Son destin dépendra de notre volonté politique et de notre croyance collective que chaque vie, partout, a une valeur égale.

À propos des auteurs

Dr Christian Rusangwa est un Champion de l’initiative les Voix Africaines de la Science et Directeur de l’Assistance Technique à Muso, où il dirige l’expansion d’initiatives de santé communautaire. Son travail met en lumière l’importance des stratégies fondées sur des preuves et du soutien technique pour étendre des réponses communautaires à grande échelle.


Madame Josiane Adja N’Koh Kouame est Membre fondatrice de l’ONG GNOUWIETA, elle y a occupé plusieurs postes de direction et contribue activement à la défense des droits humains et du bien-être social. Depuis 2024, elle est Vice-présidente du Réseau Agir pour la Promotion de la Santé et des Droits Sexuels et Reproductifs inclusifs (AP-SDRi) et Commissaire aux comptes du Réseau Voix Essentielles Côte d’Ivoire.Elle milite pour une gouvernance sanitaire centrée sur la société civile, et défend l’inclusion comme levier pour combattre les inégalités structurelles et impulser des changements durables.

À propos de Voix Essentielles

Lancée en juillet 2021 en marge du Forum Génération Égalité, avec le soutien financier de la Fondation CHANEL et du Fonds Mondial de Lutte contre le Sida, la Tuberculose et le Paludisme, Voix EssentiELLES vise à renforcer la participation significative des femmes et des filles dans toute leur diversité aux espaces décisionnels influençant les politiques et programmes de santé. Mis en œuvre par Speak Up Africa, le programme soutient des organisations communautaires de femmes au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et au Sénégal à travers un fonds dédié et un accompagnement en leadership et renforcement des capacités.

À propos de l’Initiative les Voix Africaines de la Science (AVoS)

AVoS est une initiative panafricaine menée par Speak Up Africa pour renforcer la voix et le leadership du continent dans la recherche, le développement et l’innovation en santé. Créé en 2020, AVoS réunit des scientifiques, chercheurs et acteurs politiques africains afin de porter des perspectives africaines dans les décisions mondiales, soutenir l’investissement et promouvoir des solutions de santé conçues par l’Afrique et pour l’Afrique. En valorisant l’expertise du continent, AVoS vise à améliorer les résultats de santé, renforcer la sécurité sanitaire et libérer le potentiel économique de l’Afrique dans le domaine de la santé.