Santé digitale en Afrique de l’Ouest : quels facteurs clés considérer pour le renforcement des écosystèmes favorisant la digitalisation ?

Avis - 10 octobre 2022

En collaboration avec la coalition Transform Health et dans le but de construire un réseau au sein des pays d’Afrique francophone, des efforts ont été entamés pour effectuer l'état des lieux de la santé digitale dans la région.

A cette fin, des enquêtes préliminaires ont été menées au Sénégal, au Bénin et au Mali qui ont révélé un certain nombre de constats dont l’absence de cadre juridique, politique et réglementaire pour la santé digitale ; une prédominance des organisations de la société civile dans la mise en place et l’utilisation de plateformes digitales ; le manque de coordination entre les multiples initiatives existantes ; une faible littératie numérique à tous les niveaux (décisionnaire, prestataires de service et populations) et un manque de concertation au niveau régional malgré l’engagement notoire des organisations régionales telles que l'OOAS (Organisation ouest-africaine de la santé) dans la digitalisation.

L’adoption et l’utilisation de systèmes de santé digitaux à l’échelle de l’Afrique de l’Ouest requièrent de mener un ensemble d’actions clés pour renforcer les écosystèmes en faveur de la digitalisation.

À l'occasion de la Digital Health Week, plusieurs acteurs engagés dans la santé digitale en Afrique de l’Ouest joignent leur plume pour proposer une lecture sur trois niveaux : les fonctions essentielles de la société civile, l’impératif engagement des décideurs pour un changement de politique et l’importance de la coordination et de l’harmonisation des pratiques et technologies.

5 raisons pour lesquelles mobiliser davantage la société civile

Reconnaître leur rôle de pionnier

Les ONG internationales et locales sont pour la plupart à l'origine du travail abattu dans le domaine de la digitalisation en Afrique de l’Ouest francophone. Leurs efforts ont permis jusqu’ici de créer une base à partir de laquelle des programmes nationaux peuvent être renforcés pour accélérer l’atteinte des objectifs de développement durable.

Accéder aux communautés sur le dernier kilomètre

L'accès aux services de santé par les populations habitant dans le dernier kilomètre, les populations les plus démunies qui résident en milieu urbain ainsi que celles en zones de conflit, reste un des plus grands défis à résoudre en matière de développement. Les organisations de la société civile continuent d'être les mieux placées pour accompagner les efforts gouvernementaux à accomplir cette difficile mission.

S’ouvrir aux entrepreneurs sociaux, nouveaux partenaires du Développement

Le modèle de développement tel que nous le connaissons est en train de changer avec notamment l'entrée dans le secteur de nouveaux acteurs tels que les entrepreneurs sociaux. Pour mettre à profit cette nouvelle dynamique, nous préconisons plus d’engagement de la part des acteurs traditionnels du développement avec ces nouveaux opérateurs privés qui servent une mission d’intérêt publique. On pourrait citer l’exemple de IT4LIFE, entreprise de l’économie sociale et solidaire basée à Dakar, fondée spécifiquement pour accompagner la société civile dans sa transformation digitale et développer des outils numériques pour renforcer l’impact des programmes, particulièrement dans le cadre de réponse humanitaire en Afrique de l’Ouest.

Répondre aux engagements de redevabilité

Les citoyens, étant au centre de la santé digitale, doivent saisir les différents apports des outils numériques à la santé et soutenir cette transformation. La digitalisation de la santé est une problématique qui implique l’ensemble des parties prenantes, de la conception à la mise en œuvre de politiques et programmes afin qu’ils soient pleinement inclusifs.

Le respect des principes de redevabilité est un indicateur clé. Au-delà des règles imposées par les aussi bien les bailleurs, on observe que les communautés insistent pour que les uns et les autres respectent leurs engagements. Bien que le rôle joué par les organisations de la société civile dans cette délicate tâche reste sensible, ces derniers sont les mieux placés pour assurer le rôle de veille.

Construire des écosystèmes sur l’approche “bottom-up”

Si l’approche top-down a des avantages, par exemple pour impulser une vision, mettre en place des cadres réglementaires et contrôler la gouvernance de données, les écosystèmes se forment souvent en mode bottom-up, par effet de partage et capitalisation de solutions et de synergies entre des organisations. Parmi les organisations qui ont initié, dans cette dynamique, des activités en vue de renforcer les écosystèmes pour la digitalisation à l'échelle nationale , nous pouvons citer Path, Terre des Hommes, IT4Life et Kaikai qui ont co-fondé la Communauté e-Health Sénégal, et plus récemment l’Institut Baobab et l’organisation Speak Up Africa qui, en partenariat avec la coalition Transform Health, ont démarré le réseau de santé digitale en Afrique de l’Ouest (ReSAF ).

Pour l’engagement des acteurs décisionnels

Mettre la priorité sur la gouvernance de données

Dans tous les secteurs, et particulièrement dans celui de la santé, la technologie évolue rapidement et les politiques doivent suivre. Pour créer cet environnement favorable et durable, la transformation digitale et les questions liées à la gouvernance des données de santé doivent être une priorité pour les gouvernements. Les approches liées à la santé digitale doivent s’aligner aux stratégies et priorités nationales sanitaires afin de renforcer les systèmes de santé.

Saisir les opportunités des approches multisectorielles

Les acteurs clés concernés par la digitalisation de la santé, qui s’engagent dans des approches multisectorielles, favorisent l’apprentissage par les pairs, le partage d’expériences, et les bonnes pratiques. Cette multisectorialité permet de renforcer les actions de plaidoyer envers les décideurs afin de mieux prioriser la gouvernance des données mais également d’impliquer directement les professionnels de la santé qui sont en première ligne et utilisent les outils numériques pour soigner leurs patients.

L’engagement multi-acteurs est aussi une opportunité de capitaliser sur la participation de différentes parties prenantes à des événements stratégiques tels que l’Assemblée mondiale de la santé (WHA) ou encore l’Assemblée générale des Nations Unies et d’appeler les décideurs à l’action. Ces événements rappellent l’importance d’atteindre les Objectifs de Développement Durable, et notamment l’objectif 3 visant à l’accès à la santé pour tous, et offrent également une plateforme sans précédent pour la mise en avant de l’importance de la digitalisation des systèmes de santé.

Mobiliser les ressources financières

Le plaidoyer envers les décideurs vise également à soutenir les efforts de mobilisation de ressources, car dans certains contextes, la digitalisation est une réalité, mais les acteurs restent confrontés à un manque de ressources financières. Pour un investissement plus large dans la digitalisation des systèmes de santé, les gouvernements doivent prioriser l’augmentation du financement national lié à la santé et coordonner leurs actions avec les organisations internationales.

La santé digitale : un enjeu technologique centré sur l'humain

Améliorer la coordination technologique

Dans de nombreux pays, et pas seulement en Afrique de l’Ouest, la santé digitale est encore à l’état d’amalgame de solutions diverses, initiées et maintenues sous la responsabilité de différents acteurs. A ce stade, ces différentes solutions ne sont pas organisées sous un concept d’intégration ou selon une vision technologique pour le système global. Pour aller vers une architecture de système cohérente et robuste, il est donc nécessaire d'améliorer la coordination entre les différents porteurs de projet, responsables et départements pour ensuite pouvoir aborder une meilleure intégration technique.

Utiliser les normes et standards internationaux

Pour garantir des architectures robustes, il est nécessaire de se baser sur des normes et standards d’interopérabilité existants. Ceci permet d’échanger entre les différents systèmes et donc de faire évoluer l’architecture sans devoir modifier les différentes solutions utilisées. Des communautés comme IHE, OpenHIE et standards comme FHIR ont prouvé leur efficacité dans d'autres pays. Pour l’Afrique de l’Ouest, l'enjeu est d’harmoniser le cadre et la réglementation pour faciliter les partenariats entre acteurs publics et privés de la sous-région, avec un guide commun pour la sélection et la validation de ces standards. Partager les mêmes normes permet également de former des communautés locales de pratiques et de construire des expertises localisées, au plus près des contextes et des utilisateurs.

Pour des biens communs (global goods) de la santé digitale adaptés au contexte Ouest Africain

Les décideurs et opérateurs de la santé digitale sont face à la multitude d’outils qui ont été développés et déployés avec succès, et certains ont été mis à échelle au niveau national. L’existence de ces “global goods” doit permettre d’éviter de recréer la roue, et de se baser sur des systèmes qui ont été testés, évalués et validés par des professionnels de la santé. Néanmoins, pour des outils qui font référence dans d’autres régions du monde, il est nécessaire d’assurer que les adaptations au contexte Ouest-Africains soient prisent en compte. Ceci renforce la nécessité de construire un réseau de techniciens, reconnus dans leur secteur et porteurs d’excellence, qui soit en mesure de développer les adaptations nécessaires et de contribuer au déploiement inclusif de ces solutions. Cette expertise locale est essentielle à l’émergence de biens publics Made in West Africa .

Créer un écosystème public-privé pour la mise en place et la maintenance

Le développement de la santé digitale en Afrique de l’Ouest est fortement soutenu par des partenaires qui opèrent avec le soutien financier de bailleurs de fonds. Les cycles programmatiques et de financement ne permettent pas toujours d’assurer la continuité des activités. Se pose la question des formats de partenariats pour assurer la pérennité des solutions. Il est aussi nécessaire d’assurer le renforcement des capacités et des connaissances des Global Goods, des normes et standards, des architectures pour la santé, des approches d'intégration et de déploiement. Ces besoins existent du côté des Ministères ou d’agences gouvernementales, mais aussi des fournisseurs de services et des intégrateurs de solutions locaux et régionaux. Les écosystèmes durables reposent sur des partenariats public-privé, alignés sur une vision commune, au service de la mise en place et la maintenance des global goods de la santé digitale.

Conclusion

L’adoption harmonisée et à échelle de systèmes de santé digitaux en Afrique de l’Ouest repose sur des écosystèmes d’une nature nouvelle. Construits en top-down sous le leadership des décideurs et en bottom-up par l’action des acteurs proches du terrain. Guidés par des normes et des standards communs issus des bonnes pratiques et adaptés au contexte local et régional. Engagés dans l’utilisation de global goods et fondés sur une démarche de partenariats public-privé.

Le réseau de la santé digitale en Afrique de l’Ouest (ReSAF) est ainsi une initiative qui permet de rassembler les experts du digital, les professionnels de la santé, la société civile et des organisations afin de pouvoir coordonner des actions qui viseront à amplifier les efforts des parties prenantes dans la santé digitale en et faciliter l’implémentation des outils digitaux au sein des systèmes de santé.

Enfin, nous ne l’oublions pas, derrière les enjeux technologiques, la santé digitale est avant tout centrée sur l’humain. La relation soignant-patient, la couverture santé pour tous et le bien-être de chacun sont au cœur de notre action collective.

Comment rejoindre le ReSAF ?
  • Plus d’informations sur la communauté e-Santé Sénégal et comment nous rejoindre : voir www.esantesen.org.
A propos des co-auteurs
Baobab Institute www.baobabinstitute.org

L’institut Baobab est une plateforme qui met l’accent sur 3 domaines fondamentaux pour l'ère post-covid notamment la localisation, la digitalisation et l'entreprenariat pour le développement. Parmi nos membres fondateurs, nous comptons des experts renommés et des champions de la santé globale qui ont contribué de façon substantielle au progrès réalisé dans la planification familiale en Afrique francophone de l’Ouest. Nous comptons tirer parti de cette expertise pour accélérer les progrès du mouvement global pour la PF dans la région.

Speak Up Africa www.speakupafrica.org

Basée à Dakar, au Sénégal, Speak Up Africa est une organisation à but non lucratif de plaidoyer dédiée à catalyser le leadership, favoriser le changement de politiques et accroître la sensibilisation en faveur du développement durable en Afrique. À travers ses plateformes, et avec l’appui de ses partenaires, Speak Up Africa s'assure que les décideurs politiques rencontrent les agents de mise en œuvre ; que les solutions soient mises en valeurs et que chaque secteur des citoyens à la société civile en passant par les partenaires techniques et financiers et les entreprises participe de manière active au dialogue et s’efforce de poser des actions concrètes en faveur de la santé publique et du développement durable.

Kai-Kai www.kaikai.dev

Nous sommes une équipe de conseillers en développement numérique et offrons des services de conseil stratégique et technique au secteur privé, aux donateurs, aux partenaires de mise en œuvre et aux ONG. Nous répondons aux besoins locaux en co-créant des programmes à fort impact, en renforçant les relations et les capacités locales et en tirant parti des partenariats avec le secteur privé. Kaikai est co-fondateur de la Communauté e-Santé (Sénégal).

IT4LIFE www.it4life.org

Entreprise de services numériques solidaires, IT4LIFE accompagne la transformation digitale du secteur non-profit en Afrique et en France. Née au Sénégal en 2017, l’entreprise reconnue d’utilité publique a réalisé près de 140 projets réalisés dans plus de 20 pays, avec une passion pour les projets de collecte de données de programmes et de structuration des Systèmes d’information de santé. IT4LIFE est membre fondateur de la Coalition Tech For Good (France) et co-fondateur de la Communauté e-Santé (Sénégal).

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