En collaboration avec la coalition Transform Health et dans le but de construire un réseau au sein des pays d'Afrique francophone, des efforts ont été entrepris pour faire le point sur la santé numérique dans la région.
A cet effet, des enquêtes préliminaires ont été menées au Sénégal, au Bénin et au Mali qui ont révélé un certain nombre de constats dont l'absence d'un cadre juridique, politique et réglementaire pour la santé numérique ; une prédominance des organisations de la société civile dans la mise en place et l'utilisation des plateformes numériques ; le manque de coordination entre les nombreuses initiatives existantes ; une faible culture numérique à tous les niveaux (décideurs, prestataires de services et populations) et un manque de concertation au niveau régional malgré l'engagement notoire des organisations régionales telles que l'OOAS (Organisation Ouest Africaine de la Santé) dans la digitalisation.
L'adoption et l'utilisation de systèmes de santé numériques en Afrique de l'Ouest nécessitent la mise en œuvre d'un ensemble d'actions clés pour renforcer les écosystèmes en faveur de la numérisation.
A l'occasion de la Semaine de la santé numérique, plusieurs acteurs impliqués dans la santé numérique en Afrique de l'Ouest coécrivent cet article pour partager leur perspective à trois niveaux : les fonctions essentielles de la société civile, l'engagement impératif des décideurs pour un changement de politique et l'importance de la coordination et de l'harmonisation des pratiques et des technologies.
Reconnaître leur rôle de pionnier
Les ONG internationales et locales sont pour la plupart à l'origine du travail réalisé dans le domaine de la numérisation en Afrique de l'Ouest francophone. Leurs efforts jusqu'à présent ont créé une base à partir de laquelle les programmes nationaux peuvent être renforcés pour accélérer la réalisation des Objectifs de développement durable.
Accès aux communautés sur le dernier kilomètre
L'accès aux services de santé pour les populations vivant dans le dernier kilomètre, les populations les plus pauvres résidant dans les zones urbaines ainsi que dans les zones de conflit, reste l'un des plus grands défis à relever en termes de développement. Les organisations de la société civile restent les mieux placées pour soutenir les efforts des gouvernements dans l'accomplissement de cette mission difficile.
S'ouvrir aux entrepreneurs sociaux et aux nouveaux partenaires de développement
Le modèle de développement tel que nous le connaissons est en train de changer avec l'entrée dans le secteur de nouveaux acteurs tels que les entrepreneurs sociaux. Pour tirer parti de cette nouvelle dynamique, nous recommandons un engagement accru des acteurs traditionnels du développement auprès de ces nouveaux opérateurs privés qui servent une mission d'intérêt public. Nous pourrions citer l'exemple d'IT4LIFE, une entreprise de l'économie sociale et solidaire basée à Dakar, fondée spécifiquement pour accompagner la société civile dans sa transformation digitale et développer des outils numériques pour renforcer l'impact des programmes, notamment dans le cadre de la réponse humanitaire en Afrique de l'Ouest.
Respecter les engagements en matière de responsabilité
Les citoyens, qui sont au centre de la santé numérique, doivent comprendre les différentes contributions des outils numériques à la santé et soutenir cette transformation. La numérisation de la santé est une question qui implique toutes les parties prenantes, de la conception à la mise en œuvre des politiques et des programmes afin qu'ils soient pleinement inclusifs.
Le respect des principes de responsabilité est un indicateur clé. Au-delà des règles imposées par les bailleurs de fonds, nous observons que les communautés insistent pour que les uns et les autres respectent leurs engagements. Bien que le rôle joué par les organisations de la société civile dans cette tâche délicate reste sensible, elles sont les mieux placées pour assurer le rôle de chien de garde.
Construire des écosystèmes selon une approche ascendante
Si l'approche top-down présente des avantages, par exemple pour impulser une vision, mettre en place des cadres réglementaires et contrôler la gouvernance des données, les écosystèmes se forment souvent en mode bottom-up, par l'effet du partage et de la capitalisation des solutions et des synergies entre organisations. Parmi les organisations qui ont initié, dans cette dynamique, des activités de renforcement des écosystèmes pour la digitalisation au niveau national, on peut citer Path, Terre des Hommes, IT4Life et Kaikai qui ont co-fondé la Communauté e-Santé Sénégal, et plus récemment l'Institut Baobab et l'organisation Speak Up Africa qui, en partenariat avec la coalition Transform Health, ont démarré le réseau de santé numérique de l'Afrique de l'Ouest(ReSAF ).
Donner la priorité à la gouvernance des données
Dans tous les secteurs, et en particulier dans celui de la santé, la technologie évolue rapidement et les politiques doivent suivre. Pour créer cet environnement favorable et durable, la transformation numérique et les questions de gouvernance des données de santé doivent être une priorité pour les gouvernements. Les approches de la santé numérique doivent s'aligner sur les stratégies et les priorités nationales en matière de santé afin de renforcer les systèmes de santé.
Saisir les opportunités offertes par les approches multisectorielles
Les acteurs clés de la digitalisation de la santé, qui s'engagent dans des approches multisectorielles, favorisent l'apprentissage par les pairs, le partage d'expériences et de bonnes pratiques. Cette multisectorialité permet de renforcer les actions de plaidoyer auprès des décideurs pour mieux prioriser la gouvernance des données mais aussi d'impliquer directement les professionnels de santé qui sont en première ligne et utilisent les outils numériques pour soigner leurs patients.
L'engagement multipartite est également l'occasion de tirer parti de la participation de différentes parties prenantes à des événements stratégiques tels que l'Assemblée mondiale de la santé (AMS) ou l'Assemblée générale des Nations unies et d'appeler les décideurs à l'action. Ces événements rappellent l'importance d'atteindre les Objectifs de développement durable, et en particulier l'Objectif 3, visant l'accès à la santé pour tous, et offrent également une plateforme sans précédent pour souligner l'importance de la numérisation des systèmes de santé.
Mobiliser des ressources financières
Le plaidoyer auprès des décideurs vise également à soutenir les efforts de mobilisation des ressources, car dans certains contextes, la numérisation est une réalité, mais les acteurs sont toujours confrontés à un manque de ressources financières. Pour un investissement plus large dans la numérisation des systèmes de santé, les gouvernements doivent donner la priorité à l'augmentation des financements nationaux liés à la santé et coordonner leurs actions avec les organisations internationales.
Améliorer la coordination des technologies
Dans de nombreux pays, et pas seulement en Afrique de l'Ouest, la santé numérique est encore un amalgame de solutions diverses, initiées et maintenues sous la responsabilité de différents acteurs. A ce stade, ces différentes solutions ne sont pas organisées selon un concept d'intégration ou selon une vision technologique du système global. Pour aller vers une architecture cohérente et robuste du système, il est donc nécessaire d'améliorer la coordination entre les différents chefs de projets, gestionnaires et départements afin de pouvoir ensuite aborder une meilleure intégration technique.
Utiliser les normes et standards internationaux
Pour garantir des architectures robustes, il est nécessaire de s'appuyer sur les normes et standards d'interopérabilité existants. Cela permet d'échanger entre les différents systèmes et donc de faire évoluer l'architecture sans avoir à modifier les différentes solutions utilisées. Des communautés comme IHE, OpenHIE et des standards comme FHIR ont prouvé leur efficacité dans d'autres pays. Pour l'Afrique de l'Ouest, l'enjeu est d'harmoniser le cadre et les réglementations pour faciliter les partenariats entre les acteurs publics et privés de la sous-région, avec un guide commun pour la sélection et la validation de ces standards. Le partage des mêmes normes permet également de former des communautés de pratiques locales et de construire une expertise localisée, au plus près des contextes et des utilisateurs.
Pour des biens communs (biens globaux) de la santé numérique adaptés au contexte ouest-africain
Les décideurs et les opérateurs de la santé numérique sont confrontés à la multitude d'outils qui ont été développés et déployés avec succès, et dont certains ont été mis à l'échelle nationale. L'existence de ces "biens mondiaux" devrait permettre d'éviter de recréer la roue et de s'appuyer sur des systèmes qui ont été testés, évalués et validés par les professionnels de la santé. Cependant, pour les outils qui sont des références dans d'autres régions du monde, il est nécessaire de s'assurer que les adaptations au contexte ouest-africain sont prises en compte. Cela renforce la nécessité de construire un réseau de techniciens, reconnus dans leur secteur et porteurs d'excellence, capables de développer les adaptations nécessaires et de contribuer au déploiement inclusif de ces solutions. Cette expertise locale est essentielle à l'émergence de biens publics Made in West Africa.
Créer un écosystème public-privé pour la mise en œuvre et la maintenance
Le développement de la santé numérique en Afrique de l'Ouest est fortement soutenu par des partenaires qui opèrent avec l'appui financier des bailleurs de fonds. Les cycles programmatiques et de financement ne permettent pas toujours d'assurer la continuité des activités. La question se pose des formats de partenariat pour assurer la pérennité des solutions. Il est également nécessaire d'assurer le renforcement des capacités et la connaissance des biens mondiaux, des normes et standards, des architectures pour la santé, des approches d'intégration et de déploiement. Ces besoins existent du côté des ministères ou des agences gouvernementales, mais aussi des prestataires de services et des intégrateurs de solutions locales et régionales. Les écosystèmes durables sont fondés sur des partenariats public-privé, alignés sur une vision commune, au service de la mise en œuvre et de la maintenance des biens mondiaux dans le domaine de la santé numérique.
L'adoption harmonisée et à grande échelle des systèmes de santé numériques en Afrique de l'Ouest repose sur des écosystèmes d'une nature nouvelle. Construits de manière descendante sous le leadership des décideurs et de manière ascendante par l'action des acteurs proches du terrain. Guidés par des normes et standards communs issus des bonnes pratiques et adaptés au contexte local et régional. Engagé dans l'utilisation des biens mondiaux et fondé sur une approche de partenariat public-privé.
Le réseau de santé numérique en Afrique de l'Ouest (ReSAF) est donc une initiative qui réunit des experts du numérique, des professionnels de la santé, de la société civile et des organisations afin de pouvoir coordonner des actions qui viseront à amplifier les efforts des acteurs en matière de santé numérique et à faciliter la mise en place d'outils numériques au sein des systèmes de santé.
Enfin, nous n'oublions pas que derrière les défis technologiques, la santé numérique est avant tout centrée sur l'humain. La relation soignant-patient, la couverture santé pour tous et le bien-être de chacun sont au cœur de notre action collective.
L'Institut Baobab est une plateforme qui se concentre sur 3 domaines fondamentaux pour l'ère post-covidique, notamment la localisation, la numérisation et l'entrepreneuriat pour le développement. Parmi nos membres fondateurs, nous comptons des experts renommés et des champions de la santé mondiale qui ont contribué de manière substantielle aux progrès réalisés en matière de planification familiale en Afrique de l'Ouest francophone. Nous avons l'intention de tirer parti de cette expertise pour accélérer les progrès du mouvement mondial de la PF dans la région.
Basée à Dakar, au Sénégal, Speak Up Africa est une organisation de plaidoyer à but non lucratif qui se consacre à catalyser le leadership, à conduire le changement politique et à sensibiliser au développement durable en Afrique. Grâce à ses plateformes et au soutien de ses partenaires, Speak Up Africa veille à ce que les décideurs rencontrent les exécutants, que les solutions soient mises en évidence et que chaque secteur, des citoyens à la société civile, en passant par les partenaires techniques et financiers et les entreprises, participe activement au dialogue et s'efforce de prendre des mesures concrètes en faveur de la santé publique et du développement durable.
Nous sommes une équipe de conseillers en développement numérique et offrons des services de conseil stratégique et technique au secteur privé, aux donateurs, aux partenaires de mise en œuvre et aux ONG. Nous répondons aux besoins locaux en co-créant des programmes à fort impact, en renforçant les relations et les capacités locales et en tirant parti des partenariats avec le secteur privé. Kaikai est cofondateur de la Communauté e-Santé (Sénégal).
Entreprise de services numériques solidaires, IT4LIFE accompagne la transformation numérique du secteur associatif en Afrique et en France. Née au Sénégal en 2017, l'entreprise reconnue d'utilité publique a réalisé près de 140 projets dans plus de 20 pays, avec une passion pour les projets de collecte de données pour les programmes et la structuration des systèmes d'information de santé. IT4LIFE est membre fondateur de la coalition Tech For Good (France) et cofondateur de la communauté e-santé (Sénégal).