23 avril 2024
L’histoire de la campagne " Zéro Palu ! Je m’engage " a eu des débuts modestes avant de se transformer en un mouvement panafricain majeur, présent dans 29 pays. Il est difficile d’imaginer qu’il y a maintenant dix ans, nous nous sommes lancés dans cette remarquable aventure pour créer un mouvement social en vue d’éliminer le paludisme, et le moment est venu de poser un regard ému sur le chemin parcouru.
Par James Wallen, coordinateur du programme de lutte contre le paludisme
Les origines : Sénégal (2014-2017)
La date du vendredi 25 avril 2014 restera pour toujours dans les annales de Speak Up Africa puisqu’elle marque la naissance de la campagne Zéro Palu ! Je m’engage. Ce jour-là, des représentants du gouvernement, avec en tête le Pr Awa Coll-Seck alors ministre de la Santé et membre du conseil d’administration du Partenariat RBM pour en finir avec le paludisme, ainsi que des donateurs, des ONG et de nombreux autres participants, se sont réunis pour la cérémonie de lancement, sans savoir ce qu’il adviendrait de cette campagne en l’espace de quelques années seulement.
Mais revenons deux mois en arrière. Maelle Ba, principale responsable de la communication stratégique chez Speak Up Africa (qui était stagiaire à l’époque), et Angelo Zogo, le plus ancien graphiste de Speak Up Africa, ont rencontré Philippe Guinot, alors directeur national de PATH au Sénégal, et le Programme national de lutte contre le paludisme du Sénégal (PNLP) à l’hôtel King Fahd, à Dakar, pour échanger des idées pour une nouvelle campagne.
À ce moment charnière de l’histoire – la fin d’une décennie et demie de réductions massives des décès dus au paludisme et le début d’une période de léger recul – on commençait à se rendre compte que de nouvelles avancées dans l’élimination du paludisme n’étaient ni garanties, ni évidentes, ni même incontestables.
N’oublions pas que le paludisme compte parmi les maladies les plus anciennes, les plus mortelles et les plus persistantes que l’humanité ait jamais connues. Au fil de l’évolution, la maladie a créé une arme rusée et malfaisante : le moustique et le parasite plasmodium, capables de s’adapter rapidement pour éluder les tentatives délibérées (c.-à-d. les interventions de lutte contre le paludisme) et accidentelles (c.-à-d. les réponses immunitaires) de l’humanité pour empêcher sa propagation.
Pour continuer à faire progresser le programme d’élimination du paludisme, quelque chose devait changer. Il n’était plus possible de continuer sur notre lancée si nous voulions réaliser notre vœu le plus cher et atteindre notre objectif ultime : l’élimination puis l’éradication du paludisme. C’est à partir de cet état des lieux qu’est née l’idée centrale de la campagne : chaque secteur de la société et chaque individu a un rôle important et unique à jouer. Seule une approche collective, multisectorielle et à l’échelle de la société pourra nous permettre d’atteindre le « Zéro palu ». Il fallait pour cela mettre en place un environnement social, économique et politique favorable pour lancer une contre-attaque véhémente contre le système d’armements des moustiques et des parasites. De plus, le concept devait être simple, mais convaincant et axé sur l’action. C’est en réunissant toutes les pièces du puzzle que le slogan Zéro Palu ! Je m’engage a été créé, accompagné des trois piliers de la campagne : l’engagement politique, l’engagement du secteur privé et l’engagement de la communauté.
Mais revenons au lancement. La ministre de la Santé donne son feu vert au lancement de la campagne. Avec le soutien de PATH, une importante ONG internationale de santé publique, Speak Up Africa et le Programme national de lutte contre le paludisme, dirigé à l’époque par le Dr Mady Ba, se lancent dans la phase pilote de la campagne qui durera trois ans.
Voici quelques-unes des activations, activités et résultats les plus marquants de la période 2014-2018 :
Le moment de vérité : En route vers Nouakchott (2018)
Speak Up Africa a alors apporté cette campagne largement considérée au Sénégal comme très innovante, impactante et inspirante au Partenariat RBM pour en finir avec le paludisme et ensemble, ils l’ont présentée à la Commission de l’Union africaine (UA) en janvier 2018. Celle-ci, consciente de la nécessité d’insuffler une énergie nouvelle au programme d’élimination du paludisme, lui a accordé un soutien inconditionnel et a facilité le processus permettant à la campagne d’être présentée aux chefs d’État africains afin d’obtenir un soutien politique de haut niveau.
Les six mois suivants ont été consacrés à des consultations nationales, régionales et avec les partenaires, au perfectionnement du cadre de la campagne et au développement d’un ensemble d’outils pour soutenir sa mise en œuvre, ce qui a abouti à la production de la boîte à outils Zéro Palu ! Je m’engage, qui fournit un guide et un cadre étape par étape pour lancer la campagne au niveau national.[2]
Mi-2018, du 25 juin au 2 juillet, les chefs d’État de l’UA se sont réunis à Nouakchott, en Mauritanie, pour le 31e Sommet de l’Union africaine, présidé par Paul Kagame, alors président de l’UA. Le 2 juillet, tous les chefs d’État ont approuvé la campagne Zéro Palu ! Je m’engage, défendue en particulier par le président du Sénégal, Macky Sall, qui a donné l’impulsion politique nécessaire à la diffusion de la campagne dans toute l’Afrique.
Un combat défendu du niveau communautaire au niveau mondial
L’une des stratégies de la campagne Zéro Palu ! Je m’engage était d’identifier des champions capables d’expliquer pourquoi il est important de faire de la lutte pour l’élimination du paludisme une priorité et d’investir dans ce combat. El-Hadji Diop, originaire du village sénégalais de Thieneba était l’un de ces champions communautaires. El-Hadji dont la fille est décédée du paludisme au début du siècle a consacré sa vie à sensibiliser avec passion les communautés sénégalaises à la prévention et au traitement du paludisme.
En plus de fournir à El-Hadji des plateformes au niveau national pour plaider en faveur d’un soutien gouvernemental accru, l’écosystème de la campagne Zéro Palu ! Je m’engage" lui a également donné l’occasion de prononcer un discours lors de la conférence de reconstitution des ressources du Fonds mondial à Lyon en 2019, juste avant l’allocution du président français, afin de raconter son histoire et de présenter le point de vue des communautés locales, trop souvent absentes de ces forums, ainsi que de lancer un puissant appel à l’action à la communauté mondiale des bailleurs de fonds.
Malheureusement, El-Hadji est décédé au lendemain de la Journée mondiale de lutte contre le paludisme en 2022, mais son puissant héritage reste bien vivant par le biais de son association communautaire, AISM-Thienaba, aujourd’hui dirigée par son fils, Alpha.
Passera ? Passera pas ? L’ultime test de mobilisation
C’est une chose (et ce n’est pas rien) de chercher à obtenir une adhésion de haut niveau telle que l’approbation de tous les chefs d’État de l’Union africaine, mais cela ne garantit pas le déploiement et la mise en œuvre du programme. L’ultime test a commencé au deuxième semestre de 2018, après le lancement africain à Nouakchott : les États membres eux-mêmes verraient-ils l’intérêt et la pertinence de la campagne et étaient-ils prêts à investir temps et ressources dans l’adoption, l’adaptation et le déploiement de la campagne au niveau national ? Avec le soutien du secrétariat du Partenariat RBM pour en finir avec le paludisme et de la Commission de l’UA, les États membres ont commencé, fin 2018 et tout au long de 2019, à lancer et à mettre progressivement en œuvre la campagne. À ce jour, 29 États membres ont procédé au lancement de la campagne, le dernier étant le Togo en octobre 2023.
Une étude de cas : Comment le Bénin a lancé la campagne Zéro Palu ! Je m’engage
En novembre 2020, le gouvernement du Bénin a pris la décision de lancer la campagne Zéro Palu ! Je m’engage, ainsi que la campagne Zéro Palu ! Les Entreprises s’engagent (sur laquelle nous reviendrons plus loin). Suite à ce lancement, Speak Up Africa a apporté son soutien au programme national de lutte contre le paludisme pour mettre en place un plan de plaidoyer national, structuré autour des trois piliers de la campagne. Ce plan donne du poids à la campagne en définissant des objectifs et des stratégies de plaidoyer alignés sur le plan stratégique national et en veillant à ce que toutes les parties prenantes poursuivent la même vision, afin de contrer la tendance à la dispersion, au manque d’alignement et à l’inefficacité que l’on observe souvent dans le domaine du plaidoyer. Il a été conçu pour être ambitieux, mais réaliste et fondé sur une analyse solide du contexte social, économique et politique du pays.
Dès le début de 2021, plusieurs mesures ont été prises pour relancer la dynamique en faveur de l’élimination du paludisme dans le secteur public, le secteur privé et au niveau communautaire, entre autres :
À la suite de ces initiatives et de nombreuses autres actions de plaidoyer au cours des trois dernières années, le gouvernement du Bénin a augmenté son budget national pour la lutte contre le paludisme de 140 % en 2023 (par rapport à la moyenne des quatre années précédentes) puis de 20 % de plus en 2024 (de 1,7 million USD à près de 5 millions USD). Cela prouve clairement que le gouvernement reconnaît l’importance de remettre le Bénin sur la voie de l’élimination du paludisme.
Le cas du Bénin est un excellent exemple du pouvoir de la campagne " Zéro Palu ! Je m’engage ", qui réunit des individus, des organisations et des secteurs très divers autour d’une vision et d’un objectif communs.
Innovation, expérimentation et intégration : l’effet d’entraînement d’une campagne réussie
Une fois l’effet boule de neige mis en route, les choses s’accélèrent, et de plus en plus de pays décident de lancer leur propre version de la campagne, en modifiant son orientation (et parfois même son nom) pour refléter les priorités et les perspectives nationales. Le fait que les États membres aient fait preuve d’un niveau d’intérêt considérable pour cette campagne lancée par de simples citoyens, et souhaitaient l’adopter, montre sa popularité au niveau panafricain.
De plus, une campagne vivante et dynamique est une campagne en constante évolution, soumise en permanence à un processus d’innovation et d’évolution (après tout, pourquoi ne pas tirer des leçons des moustiques et parasites que nous essayons de vaincre !).
Voici quelques exemples de cet effet d’entraînement, bien qu’il ne soit pas possible d’entrer dans les détails pour chacun d’entre eux :
Ceci n’est qu’un aperçu du large éventail d’initiatives remarquables qui ont été menées dans des secteurs et lieux géographiques très divers au cours des dernières années et démontre l’incroyable créativité et la richesse des actions menées dans le cadre d’une véritable mobilisation en masse.
Optimisme, pessimisme ou nihilisme : réflexions sur la lutte contre le paludisme
Avant de conclure, j’aimerais prendre un peu de recul pour faire le point sur la situation actuelle de la lutte contre le paludisme.
Tout d’abord, il est important de réaliser le chemin parcouru en un temps relativement court. Depuis l’an 2000, le nombre de décès dus au paludisme a été divisé par deux alors que la population a augmenté de manière exponentielle. De nouveaux outils, tels que les moustiquaires imprégnées d’insecticide longue durée (MILD), le traitement préventif intermittent pour les femmes enceintes (TPI) et la chimioprévention du paludisme saisonnier (CPS) pour les nourrissons et les jeunes enfants, sont des contributions majeures à la lutte contre le paludisme et, dans certaines régions, à son élimination.
Cependant les progrès se sont arrêtés au cours des dernières années, et ont même commencé à s’inverser dans certains cas. Depuis 2015, l’incidence du paludisme a diminué de 7,6 % et la mortalité de 11,3 %, ce qui est loin des objectifs intermédiaires de l’Union africaine, à savoir une réduction de 40 % d’ici à 2020 et de 70 % d’ici à 2025. En effet, on a recensé plus de cas en 2022 qu’avant la pandémie de COVID 19 et des financements massifs sont requis pour remettre le cap sur l’élimination du paludisme.
Les projections courantes montrent que les États africains vont avoir de plus en plus de mal à maintenir les niveaux actuels d’interventions essentielles de lutte contre le paludisme au cours des trois prochaines années, surtout en 2026, en raison d’un déficit budgétaire d’au moins 1,5 milliard USD. Pour pouvoir faire avancer l’élimination du paludisme, 5,2 milliards USD supplémentaires sont nécessaires.[15] Et les niveaux de couverture actuels sont loin d’être idéaux : selon le Rapport sur le paludisme dans le monde 2023, en 2022, près de la moitié des femmes enceintes (42 %) n’ont pas reçu les trois doses recommandées de traitement préventif intermittent (TPI), et environ un tiers des enfants fébriles n’ont pas consulté un professionnel de santé.
Outre ces faits préoccupants concernant la situation de financement actuelle du paludisme, de nombreux autres facteurs menacent de ralentir encore les progrès, voire même de les inverser, à savoir : la résistance aux insecticides, aux médicaments et au diagnostic, le changement climatique et la propagation du moustique envahissant Anopheles Stephansi.
Bien qu’il soit essentiel de reconnaître les progrès accomplis et le pouvoir des campagnes collectives, il est aussi indispensable d’effectuer une analyse lucide de notre situation actuelle et de l’ampleur des défis à venir. Une dose de pessimisme est une bonne chose. Elle nous permet de rester réalistes et déterminés face aux difficultés qui nous attendent ; une dose d’optimisme est essentielle pour rester sains d’esprit, motivés et orientés vers l’action ; et surtout, nous devons lutter à tout prix pour que nos dirigeants, nos mouvements et nos communautés locales et mondiales ne sombrent pas dans un nihilisme contre-productif quant à l’avenir de notre combat contre le paludisme et la vision d’un monde sans paludisme.
Au bout du compte, une bonne évaluation de l’ampleur des défis auxquels nous sommes confrontés démontre la nécessité fondamentale de continuer à construire, à créer et à collaborer, sachant que la force de l’espèce humaine repose sur sa capacité à travailler ensemble à grande échelle pour résoudre des problèmes qui semblent insolubles.
Aujourd’hui, plus que jamais, nous devons continuer à faire avancer le programme d’élimination du paludisme par le biais de la campagne Zéro Palu ! Je m’engage.
Aux 10 prochaines années et à l’élimination du paludisme !
#ZeroMalariaStartsWithMe (Le paludisme zéro commence avec moi)
[1] https://www.youtube.com/watch?v=UkHEFy6uNpY
[2] https://zeromalaria.africa/resources
[3]https://www.speakupafrica.org/wp-content/uploads/2019/07/ZM-SWM-De%CC%81claration-des-Maires-FR.pdf
[4] https://www.youtube.com/watch?v=PaZXNPUGpSI
[5] https://www.youtube.com/watch?v=5tEXIpymJVI
[6] https://speak-up-africa.exposure.co/march-to-kigalinbsp
[7] https://unitingtocombatntds.org/en/news-and-views/the-kigali-summit-on-malaria-and-MTN/
[8]https://www.speakupafrica.org/zero-malaria-business-leadership-initiative-a-highly-positive-assessment-4-years-on/
[9] https://forim.net/actualite/les-diasporas-engagees-dans-la-lutte-contre-le-paludisme/
[10] https://elcp.fr/
[11]https://elcp.fr/index.php/mobilisation-des-elus-de-lassociation-internationale-des-maires-francophones/#:~:text=Suite%20C3%A0%20cette%20rencontre%2C%20les,et%20forte%20contre%20cette%20maladie.
[12] https://www.youtube.com/watch?v=EcV8gCiJWVY
[13] https://zeromalaria.africa/introducing-the-zero-malaria-fc
[14]https://endmalaria.org/sites/default/files/Declaration%20by%20African%20Youth%20to%20End%20Malaria%20in%20Africa%20by%202030%20-%20FV%20-%20EN.docx
[15] https://alma2030.org/heads-of-state-and-government/african-union-malaria-progress-reports/2023-africa-malaria-progress-report/