Chaque année, la Journée mondiale des toilettes nous rappelle que l’accès à des installations sanitaires adéquates est essentiel pour une vie saine et en toute dignité. Cependant en Afrique, cet accès reste un privilège que beaucoup ne peuvent s’offrir. Dans certaines régions, n'avoir ne serait-ce qu'une toilette propre et sécurisée est encore un luxe, selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) il s’agit de plus de 1,5 Milliard de personne dans le monde qui ne disposent toujours pas de services d’assainissement de base, tels que des toilettes privées ou des latrines. Alors que les crises climatiques, l’instabilité politique et les épidémies captent toute l’attention, le droit fondamental à des toilettes de qualité est souvent relégué au second plan, malgré son impact direct sur la santé, la sécurité et l’égalité des sexes.
Je garde en mémoire une expérience marquante lors d’un trajet de nuit en route entre le Ghana et la Côte d'Ivoire. Une femme enceinte, manifestement inconfortable, avait besoin d'une pause pour utiliser des toilettes. Le chauffeur, hésitant, craignait l'absence de toilette sur le trajet et les risques potentiels d’insécurité. Devant l'urgence, il s'est finalement arrêté, obligeant la femme à se soulager à l’air libre. Cette scène met en lumière de manière frappante le manque de services d'assainissement et les situations éprouvantes, parfois humiliantes, que des millions de personnes, en particulier les femmes et les plus vulnérables, affrontent quotidiennement. Encore aujourd'hui, environ 65 % de la population subsaharienne n’a pas accès à des services d’assainissement de base (Bureau de l’Administrateur Groupe Afrique ii 2024, Groupe Banque Mondiale) et les coûts économiques et sanitaires liés à ce manque d'infrastructures sont énormes. La contamination des sources d'eau, la prolifération des maladies comme le choléra et les Maladies Tropicales Négligées, les crises encore plus douloureuses pour les femmes : la précarité menstruelle et les violences basées sur le genre auxquelles elles sont exposées lorsqu’elles doivent chercher des lieux isolés pour satisfaire leurs besoins naturels, souvent au péril de leur sécurité sont autant de conséquences directes.
En ne priorisant pas l’assainissement, nous payons tous le prix fort : selon Water for All – AgroParitech SUEZ, pour chaque euro investi dans l’eau et l’assainissement, il y a un retour de 4,30 euros sous forme de réduction des coûts des soins de santé dans le monde.
Le thème de cette année, "Les Toilettes, Espaces de Paix", nous invite à repenser la place des toilettes dans nos communautés. Dans de nombreux foyers africains, les toilettes sont plus qu’un simple espace personnel ; elles sont un lieu de partage car ces infrastructures sont partagées, entretenues de manière collective renforçant ainsi les liens communautaires. Aujourd’hui plus que jamais, dans un contexte marqué par le changement climatique, qui a un effet dévastateur sur les infrastructures d’assainissement déjà précaires, nous devons repenser la place des toilettes et des infrastructures d’assainissement dans nos sociétés. Inondations, sécheresses et tempêtes endommagent ces installations et entrainent la raréfaction des ressources en eau rendant l’accès et l’entretien encore plus difficile et accentuant les risques sanitaires. Par ailleurs, ces catastrophes naturelles contribuent également à des phénomènes d'exode massif des populations, notamment dans les zones rurales et périurbaines, où les infrastructures étaient déjà limitées. Ce déplacement vers des zones urbaines aggrave la pression sur des infrastructures sanitaires déjà insuffisantes, augmentant ainsi la précarité des conditions de vie. De plus, les tensions croissantes sur les ressources en eau peuvent entraîner des conflits au sein des communautés qui en Afrique de l’Ouest par exemple, se partagent au moins un cours d’eau avec leurs pays voisins[1].
À l'heure où l'accès aux infrastructures traditionnelles reste complexe, de nouvelles technologies et innovations voient le jour pour pallier ce manque. Les toilettes innovantes, souvent sans besoin d'eau et utilisant des procédés de décomposition ou de traitement des déchets, apportent une réponse durable et écologique aux défis du continent. En Afrique, des projets pilotes de toilettes sèches ou de systèmes autonomes de compostage montrent un potentiel prometteur, s'adaptant aux contraintes locales tout en préservant les ressources naturelles. En amplifiant les actions de plaidoyer pour l’accroissement des investissements dans les solutions innovantes, nous avons l'opportunité d’offrir un accès sécurisé aux toilettes même dans les zones les plus reculées, tout en réduisant l'empreinte écologique.
Les récentes crises sanitaires, telles que la COVID-19, la maladie à virus Marburg ou encore le Mpox (variole du singe) ont monopolisé l’attention des gouvernements et des donateurs, souvent au détriment des investissements en assainissement. Pourtant, garantir un accès adéquat aux toilettes et aux installations d’hygiène est indispensable pour freiner la propagation de telles épidémies. En l’absence d’infrastructures sanitaires fiables, des pratiques aussi simples que le lavage des mains, qui a été l'une des mesures les plus efficaces contre la COVID-19, deviennent difficiles, laissant des populations entières sans protection de base contre les agents pathogènes. Ainsi, intégrer l’assainissement comme un pilier central des stratégies de santé publique n’est pas seulement logique : c’est vital. Un investissement solide dans l’assainissement ne se contente pas de répondre aux besoins de santé immédiats, mais constitue également un rempart pour les futures crises sanitaires. En renforçant ces infrastructures, nous construisons une résilience qui protège les communautés, non seulement contre les maladies actuelles, mais aussi contre celles de demain.
L’accès aux toilettes dépasse d’ailleurs largement le cadre de l’Objectif de Développement Durable 6 (ODD 6) sur l’eau propre et l’assainissement ou encore l’ODD 3 (bonne santé et bien-être) en réduisant les risques de maladies ; il s’inscrit également dans l’ODD 4 (éducation pour tous), car les enfants, notamment les filles, sont plus susceptibles d'aller à l’école lorsque des installations sanitaires adéquates sont présentes ; et dans l’ODD 5 (égalité des sexes), en offrant aux femmes et aux jeunes filles des espaces sûrs et dignes, réduisant leur exposition aux violences et leur permettant de participer pleinement à la vie communautaire.
Cette année, au Sénégal, l’Association des Acteurs de l’Assainissement du Sénégal (AAAS) a décidé d’offrir la vidange gratuite des installations autonomes à une dizaine de foyers dans la région de Fatick qui accueille la célébration 2024 organisée par la Direction de l’Assainissement. Cette initiative prouve que des interventions locales peuvent transformer les conditions de vie et inspirer des changements à grande échelle, car chaque action, chaque initiative à l’échelle d’une région, contribue à un mouvement global pour un accès universel aux toilettes.
Pour Speak Up Africa, cette journée est une occasion de renouveler notre appel à l’action envers les gouvernements, les entreprises du secteur privé et la société civile à s’unir et à prendre des mesures concrètes. En effet, investir dans l’assainissement est une priorité qui doit être intégrée dans toutes les politiques de développement pour offrir à chaque Africain la dignité, la santé et la sécurité qu’il mérite. Ensemble, par de petites et grandes actions, nous pouvons transformer les toilettes en véritables espaces de paix et d’harmonie pour tous.
Par Roxane Fian, Chargée de programme
[1] Géo confluences, Dossier : La frontière, discontinuités et dynamiques, https://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/la-frontiere-discontinuites-et-dynamiques