Par Yaye Sophietou Diop | Directeur des partenariats et du développement
La participation à la 78e Assemblée mondiale de la santé (AMS) a été un moment fort d'engagement pour moi en tant que jeune femme africaine engagée en faveur de l'équité, de l'innovation et de la transformation de la santé mondiale sous l'impulsion des acteurs locaux. Cette année, l'Assemblée s'est déroulée dans un contexte de profondes transitions mondiales : instabilité financière dans l'écosystème du développement, vulnérabilité climatique, montée des tensions géopolitiques et recalibrage continu de l'architecture mondiale de la santé après la conférence COVID. Ces changements font qu'il est plus urgent que jamais de passer de la rhétorique aux résultats, en particulier lorsqu'il s'agit de concrétiser les priorités africaines.
Plusieurs résultats clés de l'AMS 2025 témoignent de progrès significatifs. Parmi eux, l'adoption de la résolution sur la santé de la peau constitue une étape importante, attendue depuis longtemps, dans la lutte contre les maladies tropicales négligées (MTN). De nombreuses MTN, dont la lèpre, se manifestent principalement par des affections cutanées. Cette résolution affirme que la santé de la peau n'est pas une question cosmétique, mais un point d'entrée essentiel pour la détection des maladies, la réduction de la stigmatisation et l'intégration des soins primaires dans les environnements à ressources limitées.
En ancrant la santé de la peau dans les efforts de renforcement des systèmes de santé mondiaux, cette résolution offre une voie concrète pour accélérer le contrôle et l'élimination des MTN, en particulier en Afrique, où le fardeau reste disproportionné. Elle s'aligne directement sur la feuille de route de l'OMS pour les MTN et soutient des modèles de soins plus holistiques, basés sur la communauté, qui répondent aux besoins réels sur le terrain.
L'AMS 2025 a également vu l'adoption d'une résolution sur le financement de la santé, renforçant le fait que sans un financement national durable de la santé, il ne peut y avoir de progrès réel vers la couverture sanitaire universelle (CSU). Dans de nombreux pays africains, les budgets de santé restent trop dépendants du financement des donateurs. J'ai abordé cette question lors du Forum mondial FTSU-CSG sur la CSU, en soulignant le besoin urgent d'institutionnaliser des mécanismes de financement nationaux novateurs, allant des taxes sur la santé et des régimes d'assurance communs aux obligations de la diaspora et aux fonds de solidarité régionaux.
Cela est d'autant plus crucial que le continent est aux prises avec une ère de transition post-donateurs. Les gouvernements africains doivent maintenant agir de manière décisive pour s'approprier et financer leurs programmes de santé, non seulement pour protéger les acquis des deux dernières décennies, mais aussi pour tracer une nouvelle voie plus résiliente, plus équitable et plus responsable sur le plan politique. Lors de ce même forum, j'ai également souligné que la santé publique universelle devait tenir compte de la dimension de genre et être ancrée dans les réalités de la communauté. Les femmes jouent un rôle central dans la fourniture des soins, mais elles continuent de se heurter aux plus grands obstacles en matière d'accès, de leadership et de prise de décision. L'avenir de la santé publique en Afrique doit refléter cette réalité.
Un autre élément déterminant de l'Assemblée de cette année a été l'adoption de l'accord sur les pandémies. Bien que ses contours définitifs reflètent un compromis, son existence affirme le consensus mondial sur le fait que les urgences sanitaires nécessitent une gouvernance structurée, équitable et transparente. Pour l'Afrique, le test sera de savoir si cet accord facilite le transfert de technologie, la fabrication régionale et la gouvernance inclusive. La préparation ne peut rester une aspiration, elle doit être concrétisée par des réformes institutionnelles, des cadres juridiques et l'autonomie régionale.
Lors de plusieurs sessions de l'Assemblée mondiale de la santé, la conversation s'est également orientée vers un domaine fondamental mais souvent sous-priorisé : la recherche et le développement dans le domaine de la santé (R&D). Un écosystème de R&D fort et dirigé par l'Afrique n'est pas un luxe, c'est une condition préalable à la souveraineté et à la résilience. Les discussions clés qui ont eu lieu tout au long de l'assemblée à laquelle j'ai assisté ont mis en évidence les piliers stratégiques suivants :
La gouvernance : L'Afrique a besoin de toute urgence d'un cadre continental coordonné pour régir la R&D dans le domaine de la santé. La fragmentation a nui à l'échelle et à l'impact. Il est essentiel de renforcer le rôle de l'Africa CDC et d'intégrer les institutions nationales de recherche dans une plateforme unifiée afin d'aligner les investissements, d'éviter les doublons et d'obtenir un impact à grande échelle.
Définition des priorités : La recherche doit répondre aux réalités sanitaires des populations africaines. Cela signifie qu'il faut transférer le pouvoir aux institutions locales pour qu'elles définissent et dirigent les programmes de R&D en matière de santé. Il faut également investir dans la science de la mise en œuvre et le développement de produits spécifiques au contexte, et non pas seulement dans la découverte en amont.
Façonnage du marché et fabrication : La fabrication locale reste limitée par la fragmentation des marchés, les barrières réglementaires et la faiblesse des signaux de la demande. En s'appuyant sur la zone de libre-échange continentale africaine (AfCFTA) et en harmonisant les politiques d'approvisionnement, les pays africains peuvent créer des marchés régionaux viables qui attirent les investissements et soutiennent les chaînes de valeur de bout en bout, de la recherche et du développement à la livraison.
Le financement : La viabilité à long terme dépend de la capacité des gouvernements africains et des organismes régionaux à prendre l'initiative de financer l'innovation dans le domaine de la santé. Les fonds dédiés à la recherche et au développement dans le domaine de la santé, les mécanismes de mise en commun des achats et les partenariats public-privé font tous partie de la solution. Nous devons passer de projets pilotes à des modèles de financement durables qui réduisent la dépendance à l'égard des donateurs et augmentent l'autonomie.
Alignement mondial : Enfin, il est impératif que les voix africaines soient intégrées dans la gouvernance des plateformes de R&D mondiales. Trop souvent, les décisions concernant les maladies prioritaires, les profils de produits cibles et les allocations de fonds sont prises sans que les personnes les plus touchées ne soient suffisamment consultées. Le nouveau programme de R&D doit être inclusif de par sa conception.
Cette vision d'une R&D menée par l'Afrique n'est pas abstraite - elle prend déjà forme dans des poches à travers le continent. Elle est menée par des institutions, des chercheurs et des entrepreneurs qui construisent sur le long terme. Notre rôle, en tant que décideurs politiques, défenseurs et partenaires, est de veiller à ce que ces efforts soient reconnus, dotés de ressources et étendus.
Ma participation à la réunion francophone sur la santé a également attiré l'attention sur la dimension humaine de cette transformation au niveau du système. J'ai parlé de l'exode de scientifiques et de professionnels de la santé africains talentueux, non pas parce qu'ils manquent d'engagement envers leur pays, mais parce qu'ils se voient trop souvent refuser la possibilité d'apporter une contribution significative dans leur pays. Grâce à des initiatives telles que le Prix des jeunes innovateurs pour la santé, la plateforme African Voices of Science et l'initiative African Women in Digital Health (AWiDH), nous nous efforçons d'inverser cette tendance, non pas en empêchant la mobilité, mais en créant des voies pour le retour, la réintégration et le leadership.
Lors d'une session distincte sur la santé numérique et les soins de santé primaires, j'ai souligné le rôle de la société civile en tant qu'élément clé de la confiance et de l'équité dans la transformation numérique. Sans co-création communautaire, les outils de santé numérique risquent d'être techniquement valables mais socialement déconnectés. Les OSC doivent participer à la gouvernance, à la conception et au suivi des systèmes numériques, de l'équité entre les sexes à la justice en matière de données.
Enfin, lors de l'échange d'apprentissage par les pairs de l'AWiDH, j'ai rejoint des parties prenantes du Lesotho, de l'Éthiopie et du Niger pour discuter des stratégies d'intégration de la dimension de genre dans la santé numérique. Les stratégies nationales commencent à intégrer des perspectives de genre, mais des obstacles structurels subsistent, notamment en ce qui concerne la représentation des femmes dans la gouvernance des données, les rôles de direction et le déploiement des technologies de santé en milieu rural. L'apprentissage transnational et l'investissement dans le capital humain seront essentiels pour assurer la durabilité.
En réfléchissant à l'AMS 2025, je me souviens de l'urgence de l'agenda de Lusaka, qui appelle à un nouvel ordre de santé publique en Afrique centré sur l'autodétermination, l'équité et la responsabilité. Les résolutions adoptées lors de l'Assemblée mondiale de la santé n'auront d'importance que si elles sont mises en œuvre par des institutions africaines, façonnées par des priorités africaines et responsables devant les populations africaines.
La solidarité mondiale reste importante. Mais la souveraineté en matière de santé n'est pas négociable. Pour moi, en tant que jeune femme africaine engagée dans cet espace, l'AMS 2025 a réaffirmé que nous devons prendre l'initiative non seulement en élevant la voix, mais aussi en construisant des institutions, en façonnant des politiques et en transformant des systèmes qui nous survivront.