Par Franz Okey, Conseiller régional Speak Up Africa
Du 6 au 8 mai 2025, à Cotonou, plus de 100 experts venus des quatre coins du continent africain se sont réunis pour une cause qui reste trop souvent reléguée à l'arrière-plan de nos priorités sanitaires : les maladies tropicales négligées (MTN). Cette session annuelle, organisée par l'Union Africaine, s'est tenue sous le thème évocateur : " Donner la priorité à l'élimination des MTN dans un contexte de changement climatique et d'évolution du cadre financier ".
Cette rencontre, au-delà des présentations techniques et des rapports d'avancement, fut avant tout un moment de vérité. Une prise de conscience collective de l'urgence d'agir autrement, de penser autrement, et surtout, de financer autrement notre santé publique.
Un poids encore trop lourd pour l'Afrique
L'Afrique supporte 40 % de la charge mondiale des MTN. Ces maladies, qui frappent en silence les populations les plus vulnérables, freinent notre développement, sapent nos systèmes de santé, et compromettent nos aspirations inscrites dans l'Agenda 2063 : une Afrique saine, résiliente et prospère.Certes, des progrès ont été réalisés. Vingt-trois pays africains ont déjà éliminé au moins une MTN. Certains, comme le Bénin, ont même réussi à éradiquer plusieurs de ces pathologies.
Alors que cette session se tient dans un contexte mondial incertain marqué par les changements climatiques et l'évolution du cadre financier, et ou l'Afrique se retrouve de plus en plus sous le lourd fardeau de ces maladies, les trois jours de travaux ont permis aux experts d'évaluer les progrès des États membres de l'UA dans la mise en œuvre du Cadre continental sur les MTN, de la Position africaine commune sur les MTN et l'impact du changement climatique sur le contrôle des maladies à transmission vectorielle, d'une part ; et d'autre part, d'explorer des stratégies de financement durables pour accélérer l'élimination des MTN dans un contexte de financement en constante évolution avec en point de mire l'intégration des MTN dans le paquet de soins de santé primaires et l'assurance maladie universelle.
Intégrer les MTN aux soins de santé primaires
Durant ces trois jours, un consensus s'est dégagé : il est temps d'intégrer les interventions contre les MTN dans nos systèmes de santé primaires et dans nos politiques nationales de planification budgétaire. Le combat contre ces maladies ne peut plus dépendre uniquement des bailleurs de fonds. Il doit être structurel, intégré, et souverain.
Pour le Pr Julio Rakotonirina, Directeur de la Santé et des Affaires Humanitaires à la Commission de l'UA, " le thème invite à réfléchir à la meilleure façon d'intégrer l'élimination des MTN dans le renforcement des systèmes de santé, d'adapter les approches aux nouvelles dynamiques climatiques et d'accélérer les efforts vers des mécanismes durables de financement nationaux, en particulier pour les programmes de lutte contre les MTN dans les États membres ".
L'engagement politique pour un changement durable
Au cœur de cette dynamique, l'engagement politique demeure fondamental. Comme l'a souligné Magetta Sufian, Représentant de la République Unie de Tanzanie, en sa qualité de Président du Comité technique spécialisé pour la santé à l'Union Africaine :
" Le plus important, c'est nous, les Africains. Nous devons nous engager, que ce soit politiquement ou techniquement, afin d'assurer que les Maladies Tropicales Négligées ne soient plus un défi sur notre continent".
Cet engagement ne doit pas être symbolique, mais tangible : budgets alloués, lois adoptées, stratégies nationales renforcées. Les MTN ne sont pas une fatalité. Elles sont éliminables, à condition d'y croire et d'y investir comme souligné par le Dr Isatou TourayJusqu'à présent, 23 nations africaines ont éliminé au moins une MTN, avec plusieurs atteignant l'élimination de plusieurs maladies, y compris la République du Bénin. Ces succès sont uniquement des réussites africaines, des histoires de détermination, de collaboration et d'innovation. Cependant, ce progrès fort évolue maintenant dans un contexte financier qui a dramatiquement changé, caractérisé par le déclin de l'assistance publique au développement et la réduction du soutien international aux programmes de santé mondiale ", a-t-elle fait savoir.
La lutte contre les MTN est aussi une lutte pour la dignité. Comme l'a si bien dit le Dr Ali Imorou Bah Chabi, représentant du ministre de la Santé du Bénin :
''Les réalités d'aujourd'hui nous imposent une réorientation stratégique et une intégration renforcée des interventions contre les maladies tropicales négligées dans nos systèmes de santé primaires, dans nos politiques d'adaptation climatique et dans nos cadres de planification budgétaire. a affirmé Docteur Ali Imorou Bah Chabi, représentant du Ministre de la Santé du Bénin. En éliminant les maladies tropicales négligées, nous libérons nos populations de chaînes invisibles ; nous restaurons leur dignité, et nous faisons un pas décisif vers une Afrique en meilleure santé, plus résiliente face aux crises, plus prospère dans son développement'' : a-t-il ajouté.
À Speak Up Africa, nous croyons que l'Afrique a non seulement les solutions, mais aussi la responsabilité de tracer sa propre voie vers l'élimination des MTN. L'heure est venue de traduire les engagements en actions, et les ambitions en résultats. Parce que chaque vie libérée d'une maladie négligée est une victoire collective pour le continent.