Par Dr Maria Rebollo Polo, chef d'équipe ESPEN, Bureau régional de l'Organisation mondiale de la santé pour l'Afrique
Chaque jour, des articles sont publiés sur les ravages causés par le COVID-19 dans le monde. Les recommandations de l'OMS concernant l'éloignement physique et les mesures de lavage des mains peuvent considérablement atténuer la propagation du COVID. Cependant, certaines régions ont des difficultés à mettre en pratique ces recommandations. En Afrique subsaharienne, plus d'un tiers de la population n'a pas accès à des installations adéquates pour le lavage des mains. En outre, le Covid-19 risque d'éclipser et d'aggraver des communautés déjà accablées par d'autres maladies, telles que les maladies tropicales négligées (MTN).
Les MTN sont un groupe de maladies transmissibles qui touchent plus de 1,5 milliard de personnes dans le monde, dont plus d'un tiers (39 %) vivent en Afrique. Ces maladies dangereuses et destructrices, telles que le trachome, la schistosomiase et l'onchocercose, peuvent être prévenues et traitées, mais elles continuent de provoquer de graves défigurations, la cécité et d'autres handicaps à long terme qui constituent des obstacles à l'éducation, à la croissance économique et au développement en général. Si elles ne sont pas traitées, les MTN causent jusqu'à 200 000 décès par an en Afrique.
Le COVID-19 et les MTN peuvent être évités en prenant les mêmes mesures préventives. L'eau propre, une bonne hygiène et un assainissement adéquat sont les fondements de la lutte contre les MTN, tout comme ils le sont pour le COVID-19. Pourtant, bien que l'eau et l'assainissement soient reconnus comme des droits de l'homme depuis 2010, de nombreuses personnes continuent de vivre sans y avoir accès de manière adéquate. Le fait de souffrir d'une MTN peut affaiblir le système immunitaire, ce qui rend les personnes plus vulnérables à l'infection par le COVID-19 et aux complications du virus. Au cours des derniers mois, l'importance de ces mesures de protection du COVID-19 a été soulignée à maintes reprises et à l'échelle mondiale. Il est maintenant temps de souligner l'importance de la protection des communautés contre les MTN, afin de s'assurer que ces dernières ne soient pas reléguées au second plan pendant cette période.
Le projet spécial élargi pour l'élimination des maladies tropicales négligées (ESPEN) du bureau régional de l'Organisation mondiale de la santé pour l'Afrique s'est donné pour mission d'éliminer les MTN sur le continent africain. Nous savons que les pays et les communautés les plus pauvres sont les moins bien équipés pour faire face au COVID-19 et sont également les plus durement touchés par les MTN. On estime à 896 millions le nombre de personnes dans le monde qui utilisent des installations de soins de santé sans service d'eau et à 1,5 milliard le nombre de personnes qui utilisent des installations sans services d'assainissement[1]. Cette situation met en danger non seulement la population générale de ces communautés, mais aussi les travailleurs de la santé et ceux qui se battent en première ligne.
Dans le contexte du COVID-19, nos dernières orientations encouragent les autorités sanitaires locales à utiliser les plateformes existantes de lutte contre les MTN, les mécanismes de surveillance et les possibilités d'éducation WASH pour soutenir la mise en œuvre des mesures liées au COVID-19, le cas échéant. En Afrique, 73 % des pays ont signalé à l'ESPEN que les agents de santé communautaire (ASC) de première ligne pour les MTN soutiennent désormais la lutte contre les MTN et le COVID. Les ASC participent à la communication sur les risques et à l'engagement communautaire pour le COVID-19 et à la promotion des mesures d'hygiène, à la surveillance (dépistage, recherche active de cas, recherche et suivi des contacts et notifications de suspects), au soutien à la surveillance des points d'entrée, à la gestion des rumeurs, à la prévention et au contrôle des infections : Soutien au triage dans les établissements de santé, contribuant considérablement à la lutte contre les MTN et le COVID.
Nous avons travaillé dur pour faire en sorte que des programmes de lutte contre les MTN soient mis en œuvre dans de nombreuses communautés du continent. Il est maintenant essentiel de les maintenir et d'adapter les programmes à la crise actuelle. Les dirigeants nationaux et locaux ne doivent pas détourner leur attention des MTN au profit du COVID-19, mais plutôt adopter une double approche. C'est pourquoi de nouvelles initiatives telles que la campagne Stay Safe Africa - qui vise à protéger les citoyens contre cette nouvelle maladie, tout en reconnaissant les contextes et les défis existants des communautés africaines - sont si importantes.
Au cours de la prochaine décennie, la feuille de route 2021 - 2030 de l'Organisation mondiale de la santé guidera la réponse mondiale aux MTN et garantira la réalisation des objectifs de développement durable des Nations unies, à savoir mettre fin à l'épidémie et réduire de 90 % le nombre de personnes nécessitant des interventions médicales. Ces objectifs sont encore réalisables, même dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Les MTN sont des maladies de la pauvreté et de l'inégalité - en les éliminant, nous pouvons faire avancer le développement et faire en sorte que les gens ne soient plus affligés par des maladies évitables et traitables.
Actuellement, 600 millions de personnes en Afrique ont besoin d'un traitement contre les MTN. Plus que jamais, l'Afrique doit faire de l'hygiène et de l'assainissement une priorité. Cette pandémie a démontré que les gouvernements peuvent plaider en faveur d'une meilleure hygiène et de bonnes pratiques de lavage des mains, et qu'ils peuvent donc continuer à le faire pour d'autres maladies. Les programmes de lutte contre les MTN ont touché plus d'un milliard de personnes au cours des quatre dernières années et, à mesure que les campagnes de traitement reprennent, il sera essentiel de mettre l'accent sur l'hygiène et la distanciation sociale tout en garantissant l'accès à ces médicaments. Nous disposons des outils, des données et des connaissances nécessaires pour que cela devienne une réalité. Je suis fermement convaincu que la poursuite de la lutte contre les MTN nous aidera à stopper la propagation du COVID-19 et à faire en sorte que les maladies des plus pauvres ne soient pas laissées pour compte.
[1] https://data.unicef.org/wp-content/uploads/2019/04/WHO-JMP-WASH-in-health-care-facilities-launch.pdf