Afrique : L'élimination des maladies tropicales négligées est enfin à portée de main

Afrique : L'élimination des maladies tropicales négligées est enfin à portée de main

02 octobre 2018

Par le Dr Matshidiso MoetiDirecteur régional de l'OMS pour l'Afrique.

Au cours des six dernières années et demie, nous avons assisté à un effort international extraordinaire pour éradiquer les maladies tropicales négligées (MTN), un groupe d'affections dangereuses et destructrices qui menacent la vie et le bien-être de plus d'un milliard et demi de personnes dans le monde. Les MTN ont gagné leur nom parce qu'elles ont été relativement peu connues et négligées pendant des décennies. Mais cette situation est en train de changer rapidement, grâce aux efforts coordonnés des gouvernements, des organisations de santé et de développement, des donateurs et des entreprises privées.

Ces efforts se sont consolidés avec la signature de la Déclaration de Londres en janvier 2012, lorsque les parties prenantes se sont engagées à contrôler ou à éliminer 10 MTN d'ici 2020. Les entreprises pharmaceutiques se sont ensuite engagées à verser plus de 17,8 milliards de dollars sous forme de dons de médicaments, ce qui a permis de constituer un arsenal essentiel pour lutter contre ces maladies. Puis, en mai 2016, le bureau régional de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour l'Afrique a créé le Projet spécial élargi pour l'élimination des maladies tropicales négligées (ESPEN) afin de coordonner les actions des pays touchés par les MTN et des entités publiques et privées pour accélérer l'élimination des MTN en Afrique d'ici à 2020.

L'Afrique représente près de 40 % du fardeau mondial des MTN. Cinq d'entre elles peuvent être guéries et évitées grâce à la médecine préventive (chimiothérapie préventive ou CP). Au total, 44 pays africains sont touchés par au moins une MTN et 42 pays par au moins deux MTN. Ces maladies peuvent ravager des familles et des communautés entières, provoquant des symptômes physiques et mentaux débilitants, de terribles défigurations et des handicaps durables. Et comme elles empêchent les gens d'aller travailler et les enfants d'aller à l'école, elles ont un impact énorme sur la stabilité financière et le niveau d'éducation.

Le partenariat ESPEN a fourni un cadre solide pour coordonner la lutte contre les MTN et a permis d'obtenir des résultats considérables au cours des deux dernières années. Grâce à cette action coordonnée, nous nous efforçons de combler les lacunes et d'atteindre tous ceux qui n'ont jamais été atteints auparavant par l'administration massive de médicaments, et d'améliorer la gestion de la chaîne d'approvisionnement afin de garantir que chaque comprimé donné atteigne les enfants et les familles qui en ont besoin. L'ESPEN a travaillé en étroite collaboration avec les ministères de la santé des pays touchés par les MTN pour élaborer des plans d'action nationaux annuels afin de mieux exploiter les dons de médicaments, d'étendre les traitements à une couverture géographique de 100 % et d'améliorer la gestion de leurs programmes.

Nous réalisons des avancées impressionnantes en Afrique subsaharienne. L'année dernière, le Togo a éliminé la filariose lymphatique en tant que problème de santé publique et le Ghana a éliminé le trachome en mai 2018. Alors que les techniciens de santé, les partenaires et les agents de santé communautaires continuent de s'unir pour aider et protéger les membres les plus vulnérables de nos communautés, nous sommes prêts à atteindre des étapes similaires dans d'autres nations à travers l'Afrique.

Des progrès sont également réalisés dans la lutte contre les MTN, qui exigent que les personnes touchées soient prises en charge de manière intégrée. En février 2018, le Kenya est devenu le 41e pays sur les 47 États membres de la région africaine à être certifié exempt de la dracunculose. La lèpre est en train d'être éliminée en tant que problème de santé publique et la trypanosomiase humaine africaine progresse régulièrement vers son élimination.

Reconnaissant le rôle essentiel que joue le partenariat ESPEN dans la réduction de la prévalence des MTN et l'amélioration des systèmes de santé publique en Afrique, le gouvernement des États-Unis vient d'annoncer un engagement supplémentaire de 4 millions de dollars en faveur de l'initiative. Cependant, même si nous bénéficions d'une plus grande reconnaissance et d'une aide économique de la part des pays, des donateurs, des organisations et des entreprises du monde entier, il est impératif que ces entités, et en particulier les nations africaines, non seulement maintiennent leur engagement dans la lutte contre les MTN, mais augmentent également leurs investissements.

Pour chaque dollar investi dans la lutte contre les MTN, 27 à 42 dollars profitent à l'Afrique sur le plan économique. Si nous parvenons à atteindre notre objectif de 2020, l'Afrique subsaharienne pourrait économiser près de 52 milliards de dollars en productivité au cours de la prochaine décennie. D'ici à 2030, nous pourrions générer des gains de productivité estimés à 565 milliards de dollars dans le monde entier. Il ne fait aucun doute que l'investissement dans la prévention et le traitement des MTN est l'un des meilleurs achats pour la santé.

La réalisation des objectifs de développement durable (ODD) est tout simplement impossible sans l'élimination des MTN. Notre travail critique pour combattre ces maladies, qui touchent les plus pauvres et les plus vulnérables d'entre nous ayant le moins accès à des installations sanitaires sûres et à des soins de santé, est essentiel pour atteindre les objectifs de réduction de la pauvreté, de lutte contre la malnutrition, d'amélioration de l'eau et de l'assainissement, et de réalisation de l'égalité entre les sexes. En fait, l'objectif de développement durable n° 3 mentionne spécifiquement les MTN parmi les cibles à éradiquer d'ici à 2030.

Nous devons non seulement célébrer les progrès impressionnants que nous avons accomplis en si peu de temps, mais aussi les mettre à profit. Nous devons faire avancer des mesures telles que la chimiothérapie préventive dans les communautés les plus exposées. Nous devons veiller à ce que chacun ait accès à un traitement et à des soins en temps utile, car personne ne devrait souffrir inutilement de maladies que l'on peut prévenir et traiter. Avec plus de 1,5 milliard de personnes ayant encore besoin d'aide, dont environ 60 millions en Afrique, ce n'est pas le moment de ralentir. Au contraire, il est temps d'intensifier nos efforts et de profiter de cette occasion pour éliminer les MTN une fois pour toutes. Ce serait l'héritage historique de notre génération.